Tu n’es peut-être pas le plus
spectaculaire de ta race,
ni le plus majestueux,
mais tu es celui que nous
avons choisi,
il y a environ trente-cinq ans,
pour faire partie de notre environnement
avec deux bouleaux, lesquels sont morts depuis.
Dès ton départ de la forêt
natale de Manseau,
tu as subi des assauts répétés :
sels de dégivrage et
détritus de toutes sortes déversés sur tes flancs
sans que tu n’en sois trop
affecté, signe évident de ta robustesse.
Ton tronc strié gris foncé et ta
proche parenté avec l’érable à sucre
t’ont sans doute valu ce nom d’érable noir.
Dès les premières semaines
d’octobre,
tu te présentes sous ton meilleur jour :
tes feuilles trilobées
d’un or tirant sur l’orangé font ressortir
les dégradés de mauves et d’écarlates
des alentours;
elles deviennent translucides et pâlissent peu à peu
sous
l’effet des gels successifs et des jours qui raccourcissent.
Puis, après quelques
journées de grand vent,
tu te dénudes complètement, laissant à ton pied
un
épais tapis de feuilles qui ravissent les enfants
et fournissent un engrais
précieux pour le gazon
ainsi qu’une protection hivernale sur les vivaces des
plates-bandes.
Lorsqu’une légère brise secoue tes branches
et que le soleil y joue à
cache-cache,
tu dessines sur les murs du salon de jolies arabesques.
Tu es tout
simplement magistral,
quand ta silhouette aux longs bras tentaculaires
se
profile sur le fond fugace
de ces fameux couchers de soleil automnal.
Quelque part en novembre ou
décembre,
tu te drapes d’une superbe parure ouateuse
qui s’effilochera sous les chauds rayons du jour,
en
attendant une prochaine bordée de neige
qui t’enveloppera de nouveau.
Si talentueux qu’il soit, l’artiste ne peut reproduire
toute ta magnificence à travers les saisons;
tu es une œuvre d’art qui évolue
jour après jour devant nos yeux.
Comme chez tous les géants de ton espèce,
tes autres attributs se
révèlent aussi fort précieux.
Devant la fenêtre principale,
fidèlement,
tu montes la garde en courbant légèrement ta cime
vers notre demeure
sous l’effet des vents dominants.
Quand j’écarte les rideaux au réveil,
tu
m’indiques la force et la direction du vent
et parfois même, le temps qu’il fera.
Tu constitues le climatiseur hors
pair
qui nous protège des ardeurs du soleil en été
et laisse passer sa chaleur
bienfaisante en hiver.
Quel précieux système
anti-pollution
vous représentez, toi et tes semblables!
Tu absorbes les gaz
carboniques,
tandis que les autres polluants constituent un défi pour ta survie.
Au printemps, tu es l’hôte apprécié
des passereaux.
Les merles, particulièrement, semblent rechercher ta ramure
quand
vient le temps de construire leur nid.
Quel plaisir alors de découvrir
ces
nouveaux voisins et d’épier leurs ébats!
En été, ton énorme bouquet
de feuilles matures
forme un écran naturel
qui nous garde à l’abri des regards
indiscrets.
Durant toutes ces années, tu as été
le témoin silencieux
des événements heureux et malheureux
qui ont jalonné notre vie familiale.
Que d’histoires tu
pourrais raconter sur chacun de nous!
Puisqu’une grande longévité caractérise
ton espèce,
il y a fort à parier que tu veilleras encore longtemps sur notre
maison,
même quand nous l’aurons quittée
et qu’une autre famille y aura élu domicile.
Graciette Provost-Tremblay
(Novembre 2014)
membre du Cercle
d'écriture Encr'âge
de la Bibliothèque Marie-Victorin de
L'Ancienne-Lorette