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jeudi 28 avril 2016

Monologue d’un arbre seul



Nous étions une forêt, mes racines me l’ont raconté. Elles m’ont parlé des oiseaux, des fleurs du sous-bois et même de certains humains. Ils ont commencé à abattre quelques arbres, les ancêtres et les plus solides en premier, pour bâtir leurs maisons. Elles poussaient comme les trilles rouges au printemps.


Les années sont passées et la forêt est devenue un bosquet encadré de maisons et de rues. Les oiseaux et les enfants l’animaient. Un jour, au début d’un printemps, quelques personnes ont exploré  le bosquet et l’une d’entre elles a dit : « Si on en faisait un parc, il y a de plus en plus d’enfants dans le quartier ». Quelques semaines plus tard, des ouvriers ont coupé des arbres pour créer un espace pour les balançoires, les carrés de sable, les glissoires, les bacs à fleurs et les bancs. Ils ont même ajouté quelques arbustes pour faire joli. Le parc grouillait d’activités, les mamans parlaient assises sur les bancs pendant que la marmaille s’amusait. J’étais là, à peine plus haut que les bambins qui me côtoyaient.


J’ai grandi, les enfants aussi. La vie a quitté le parc en même temps que les enfants sont partis vers les écoles. Des immeubles voisins ont été démolis. Voyant le terrain nettoyé, je me suis pris à rêver qu’on y planterait des arbres. Un matin, de lourds camions transportant d’énormes machines d’un jaune éclatant ont envahi le terrain. Dans un bruit infernal, du lever du jour au coucher du soleil, les travailleurs, casques blancs et casques jaunes, s’affairaient. Un centre commercial a rapidement occupé presque tout l’espace. Des hommes, les casques blancs, ont arpenté le parc. Je les ai entendus dire : « C’est un espace perdu, inutilisé à sa juste valeur. Nous pourrions le transformer en stationnement. La clientèle du centre va croitre, ce sera nécessaire. » Un stationnement, des mètres et des mètres carrés d’asphalte pour les voitures! Les balançoires, les bancs, les bacs à fleurs, tout a disparu. Ils ont coupé les arbres. Ma vigueur et mes petits fruits rouges m’ont sauvé. « Il est beau, vigoureux, il témoignera de l’occupation antérieure du terrain. »


Une clôture et un carré de gazon, voilà tout ce qu’il me reste. Les consommateurs pressés ne me voient même pas. Seuls les oiseaux animent mon feuillage de leur gazouillis et se nourrissent de mes fruits dont ils répandent les graines sur quelques terrains vagues ou dans des arrière-cours. 


Quand mes racines seront desséchées par tant d’asphalte, qu’aucun bourgeon ne succédera à mes feuilles à l’automne, que le printemps  ne réveillera plus ma sève, par mes fruits dispersés çà et là, j’entrerai dans la continuité.


                                                                                Jocelyne Picard
                                                                                Avril 2016


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